L’INTRODUCTION
Le concept du flâneur est un symbole important dans la littérature française. La représentation du flâneur est celle d’une personne qui oriente son regard vers le passé pour faire face au présent. A travers l’analyse des textes “Le Cygne”[1] de Charles Baudelaire et “Dora Bruder"[2]de Patrick Modiano, on peut retracer les deux représentations du flâneur dans des contextes historiques distincts. Baudelaire évoque l’esprit du flâneur moderne dans ses poèmes. Ces poèmes écrits au milieu du XIXe siècle naissent dans un contexte historique défini par les grands changements architecturaux de l’espace urbain de Paris. La ville fut reconstruitesous les ordres du Baron Haussmann et de Napoléon III, qui ont voulu refaçonner Paris en ville moderne. Haussmann voulait créer, non seulement de nouveaux espaces, avenues et bâtiments mais aussi de nouvelles significations (Terdiman 123). En raisonde ces changements urbains importants, les parisiens commencent à regretter le vieux Paris et à rejeter ce nouvel espace artificiel, perçu comme inauthentique. En effet, les parisiens se sentent perdus et aliénés dans leur propre ville. Baudelaire dépeint ces sentiments de nostalgie et d’aliénation dans son livre de poèmes, "Les Fleurs du Mal" (1857). En représentant le personnage du flâneur dans ces poèmes, il utilise le souvenir comme une force qui relie l’espace moderne à celui du mythe. Pour Baudelaire, les mouvements du flâneur à travers la ville de Paris représentent leprocessus traumatique et nostalgique qui permet de se souvenir de la ville. Particulièrement son poème "Le Cygne" témoigne de la mélancolie causée par les changements d’espace à Paris.
De même que Baudelaire, par qui il a été influencé, Modiano utilise la flânerie et la nostalgie dans son livre "Dora Bruder" (1997), pour créer sa propre interprétation du flâneur postmoderne. Le roman de Modiano a lieu durant la période d’après-guerre à Paris. Ses écrits sont hantés par la memoire de l’Occupation de la France pendant la Seconde Guerre mondiale et l’Holocauste.Modiano, comme Baudelaire, utilise la ville de Paris comme un catalyseur pour la memoire (VanderWolk 5). On peut interpréter l‘œuvre de Modiano comme un hommage au regard de Baudelaire. Cependant, Modiano élargit ce regard en le prenant dans le "realm of the postmodern through the use of the parodic and the self-referential" (VanderWolk 24). On peut dire que, "Modiano’s Paris is Baudelaire’s with a twist"(VanderWolk 33).
En s'immergeant dans les deux textes “Le Cygne” et “Dora Bruder”, on découvre trois liens importants : l’esprit nostalgique, les mouvements de flâneur et la représentation des ruines. En comparant le flâneur moderne de Baudelaire au flâneur postmoderne de Modiano, on peut développer l’idée que le flâneur moderne de Baudelaire essaie de réveiller le lecteur pour le forcer à participer dans ce Paris moderne d’une nouvelle manière, tandis que l’intention du flâneur postmoderne de Modiano est de sensibiliser le lecteur.
LA DÉFINITION DU FLÂNEUR
Pour mieux comprendre l’évolution du flâneur moderne vers le flâneur postmoderne de Modiano, on doit avant tout définir la notion du flâneur. Walter Benjamin décrit le concept de flâneur dans son œuvre "The Arcades Project". Il explore le flâneur de Baudelaire pour mieux comprendre la psyché de l’homme moderne. Pour Benjamin, le flâneur possède le regard de l’homme aliéné (84). "The flâneurstill stood at the margins, of the great city as of the bourgeois class" (Benjamin 84). Benjamin montre comment l'ambiance de la ville, particulièrement les arcades de Paris, peut générer des mémoires perdues qui reflètent des changements dans la vie moderne. Dans son livre, "The Arcades Project", Benjamin explore l’idée que ce n’est pas la psyché humaine qui possède la collectivité de l’espace, mais c’est l’espace matériel de la ville qui fournit l’espace collectif et partagé. Cet espace matériel reflète le présent et le passé. Benjamin décrit la capacité du flâneur moderne de transcender l’espace et le temps pour surpasser les limites spirituelles et psychologiques. L’idée de transcendance d’espace et du temps est montrée dans "Dora Bruder" avec l’auteur qui traverse les trois périodes du temps : la vie de Dora Bruder, son enquête sur Dora Bruder et le présent. En outre, Benjamin et Baudelaire reconnaissent l’intention du flâneur d’exprimer la vie moderne, mais pas de la défier. Le processus de flânerie souligne l’importance de sauver le passé pour qu’on puisse comprendre le présent ; pas seulement les trésors du passé, mais aussi les vestiges et les délaissés.
L’ESPRIT NOSTALGIQUE
"Le Cygne" peut être lu comme un poème de la mémoire et de la mélancolie du passé. Baudelaire utilise le mythe d’Andromaque pour montrer comment le nouveau Paris, reconstruit et refaçonné sous les ordres du Baron Haussmann et Napoléon III, est devenu une ville méconnaissable à ses habitants. Dans "Le Cygne", l’orateur ne peut pas reconnaître sa ville après les changements. En rejetant la tradition de la poésie lyrique, Baudelaire voulait utiliser les mouvements du flâneur et de la nostalgie pour exprimer le sentiment d’exil et dévoiler la vraie image de la nouvelle ville. Le flâneur Baudelairien essaie de pénétrer le centre de la ville pour subvertir les auras de la ville et montrer le délabrement physique de Paris (Kawakami 259). Baudelaire utilise "Le Cygne" comme une représentation du processus traumatique et nostalgique de se souvenir de la ville. En effet, le cygne devient l’objet d’une révélation qui éclaire la condition de l’homme moderne. Enjuto-Rangel explore l’idée de la perte de la vieille ville et comment la mémoire signifie la perte. Les mots du poème "Le vieux Paris n’est plus" (130) soulignent le sentiment d’une aspiration pour une ville perdue : une ville en ruine qui a été remplacé par des boulevards, des grands magasins et une atmosphère stérile. Le thème du deuil et de la perte est aussi exploré dans le récit des autres exilés du poème. Par exemple, Andromaque pleure pour la perte de son mari, Hector, et pour la perte de sa ville, Troy. En outre, les rénovations de la ville de Paris ont détruit la vieille ville, comme Troy s’est effondrée à cause des Grecs. Baudelaire écrit, "Andromaque, je pense à vous ! Ce petit fleuve, Pauvre et triste miroir où jadis resplendit" (130). La juxtaposition du passé et du présent dans "Le Cygne" montre la transition de la poésie vers un symbole d’une réalité fragmentée. Paris assume le valeur d’un lieu de mythe (VanderWolk 33). En outre, tout au long du poème, Baudelaire utilise des mots puissants remplis de tristesse et de mélancolie, comme "vos douleurs de veuve" (130), "rongé d’un désir sans trêve" (132) et "à ceux qui s’abreuvent de pleurs" (132). "Le Cygne" est le symbole d’une allégorie de la perte qui represente les nombreux exilés sur la terre. Avec ce symbole, Baudelaire traverse dans le poème trois époques : le passé antique, le vieux Paris d’autrefois et la cité reconstruite d’aujourd’hui.
Comme Baudelaire, Modiano est influencé par la représentation du passé comme liée au sens de la perte dû aux changements à Paris (VanderWolk 5). Lui aussi utilise les lieux de mémoire comme des témoignages du passage des gens au cours de l’histoire.La perception de lieux est essentielle pour développer le problème d’identité qui est au cœur de l’image du flâneur, quelqu’un à la périphérie de la société. Des contextes historiques différents ont guidé les deux interprétations du flâneur à Paris. Essentiellement, Modiano présente l’image d’un flâneur postmoderne quiest obscurcie par la memoire de l’Occupation qui hante chaque rue et arrondissement de Paris (Kawakami 260). Dans "Dora Bruder" on a l’impression que le narrateur ou, le flâneur postmoderne, se sent plus confortable dans la présence des lieux de mémoires qu’avec des gens. Modiano retrace la ville de Paris à travers les yeux de Dora pour représenter la ville comme un lieu rempli de mémoires inquiétantes. Modiano s’engage dans un double mouvement de lien entre le passé et le présent pour reconstruire les mouvements de Dora Bruder. L’histoire commence avec le narrateur qui découvre dans les années quatre-vingt l’annonce d’une personne perdue, "On recherche une jeune fille, Dora Bruder, 15ans, 1m55, visage ovale, yeux gris-marron, manteau sport gris, pull-over bordeaux, jupe et chapeau bleu marine, chaussures sport. Adresser toutes indications à M. et Mme. Bruder, 41 boulevard Ornano. Paris" (7). Le narrateur introduit son investigation de la vie de Dora Bruder, en disant, "un moyen comme un autre pour continuer de concentrer mon attention sur Dora Bruder, et peut-être . . . pour élucider ou deviner quelque chose d'elle, un lieu où elle était passée, un détail de sa vie" (53). Plus que tout, "Dora Bruder" est l’histoire de la recherche du narrateur qui agit comme un détective. Les recherches sur la vie et la fuite de Dora Bruder sont en effet similaires à celles du ‘chiffonnier’ (Kawakami 264). Il reconstruit les évènements de son passé et, en le faisant, il agit comme un flâneur. Le narrateur doit retracer et réengager avec Paris avec le regard d’un étranger. Avec ses recherches, il ressuscite les rues, les hôtels, et les bâtiments de la vielle ville de Paris pendant l’adolescence Dora Bruder. A vrai dire, Modiano résume la mémoire d’une ville en soi, en reliant chaque mémoire à une rue ou un bâtiment de Paris. (VanderWolk 34). Le narrateur écrit, "Dans mon souvenir, ce quartier de la Chapelle m’apparait aujourd’hui tout en lignes de fuite à cause des voies ferries de la proximité de la gare du Nord" (29). Pour souligner les sentiments de mélancolie et de perte, le narrateur décrit comment l’espace du présent donne l’impression de vide : "J’ai ressenti une impression d’absence et de vide, chaque fois que je me suis trouvé dans un endroit où ils avaient vécu" (29) et "vous éprouvez un sentiment de vacance et d’éternité" (59). Le vide continue d’habiter les rues dans la ville postmoderne. Par ailleurs, on peut voir les parallèles entre le poids du passé sur l’esprit du flâneur, moderne et postmoderne. Tandis que Baudelaire observe que "ses souvenirs sont plus lourds que des rocs" (131), Modiano nous dit que "l’impression de vide était encore plus forte à cause de l’échappée de cette rue vers la Seine" (133).
L’aspect visuel de flâneur est priorisé avec Modiano. Dans "Dora Bruder" on ressent les descriptions détaillées de la ville avec "l’ombre de ces murs noirs, eux-mêmes noyés dans le couvre-feu" (50) et "des fenêtres étaient couverts d’une légère couche de glace" (89). La ville de Paris est dépeinte en silence avec le manque de description du son, ce qui rend plus fort l’idée de "silence" au cœur de l’écriture de Modiano. VanderWolk souligne ce manque de son dans "Dora Bruder" en disant, "Like the flâneur a century before, Modiano’s narrators are seemingly invisible in the great city as they walk, observe and search for clues"(27).Essentiellement, Modiano célèbre le fait que le mystère et l’absence de Dora Bruder continuent à être caché dans les ombres de la ville. Warehime écrit, " His failed search for this lost time allows her to keep the secret of what she did and where she went. For those four months she escaped History and time"(Warehime, 112). En ignorant les détails spécifiques de sa vie, Modiano protège son secret. Il écrit à la fin du livre, "tout ce qui vous souille et vous détruit - n’auront pas pu lui voler" (145).
LES MOUVEMENTS DU FLÂNEUR
Les mouvements du flâneur sont encadrés dans l’esprit du passé. En effet, ces mouvements incarnent dans "Le Cygne" la nostalgie et l’aspiration pour une patrie connue. Le poème se construit au fil d’associations libres pour capturer le mouvement fluide du flâneur, par exemple, avec la répétition de la phrase "je pense à…". Baudelaire présente une série de figures en exil qui traversent les lignes du poème, par exemple, l’orateur, les légendes du mythe, le cygne et la femme noire. L’orateur utilise son propre sentiment de mélancolie, caractérisé par les changements d’espace à Paris, pour faire des liens avec la nostalgie d’autres figures dans le poème, comme le cygne sans son lac, Andromaque sans Troy, la femme noire sans l’Afrique et l’orphelin sans sa maison (Enjuto-Rangel 145). Tous ces exilés désirent retourner à leurs lieux d’origine (Enjuto-Rangel 145). Baudelaire utilise aussi la vitesse de changement pour montrer le manque de permanence et le bouleversement de la ville. L’orateur dit, "la forme d’une ville Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel" (130). En outre, dans ce poème on suit les mouvements du cygne qui veut revenir à son état naturel, hors de sa cage. Le symbole du cygne montre le désir du flâneur moderne de trouver un espace hors de ce monde. "Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous, Comme les exilés, ridicule et sublime, sans trêve !" (132). Baudelaire présente l’image triste d’un animal désorienté qui ne peut pas quitter la ménagerie pour trouver son lac natal. Le cygne est piégé dans un état aliéné avec "le pavé sec", "le sol raboteux" et "un ruisseau sans eau" (131). Clairement, le cygne désire ardemment son état naturel, en pleurant pour "le cœur plein de son beau lac natal" (131). Sa triste mésaventure prend la forme d’une quête pathétique, reflétant l’univers dérangé, où le cygne devient la métaphore de tous les exilés dans le monde.
Dans "Dora Bruder", les mouvements physiques du narrateur à travers les espaces et les rues de la ville jouent un rôle important dans la conceptualisation du flâneur postmoderne de Modiano. Le narrateur passe facilement d’un espace en deux dimensions à un en trois dimensions. Ses mouvements lui permettent de traverser l’espace textuel de la ville de Paris, ainsi que de passer de sa narration personnelle et celle de Dora (Kawakami 262). Le narrateur nous dit, "les paniers à salade n’ont pas beaucoup changé jusqu’au début des années soixante. La seule fois de ma vie où je me suis trouvé dans l’un d’eux c’etait en compagnie de mon père" (68). Le mouvement à travers le temps et l’espace permet au lecteur de participer à la flânerie postmoderne. "The passage through space becomes a passage through narrative, the flâneriealong the streets of Paris turns into the familiar walk along a sentence" (Kawakami 262). La fluidité de mouvement entre l’espace en trois dimensions et celui en deux qu’on retrouve chez Modiano empêche le lecteur de retomber dans le réel et de rester dans l’illusion fictive des espaces spatiaux et temporels. Modiano écrit, "A vingt ans, dans un autre quartier de Paris, je me souviens d’avoir éprouvé cette même sensation de vide que devant le mur des Tourelles, sans savoir quelle en était la vraie raison" (132). La façon de construire la narration de Dora Bruder reflète l’expérience du flâneur. C’est évident que Modiano essaie de montrer l’élément du hasard avec ses recherches et ses découvertes sur sa vie. Il écrit, "Voilà le seul moment du livre où, sans le savoir, je me suis rapproché d’elle, dans l’espace et le temps" (54). L’élément de la spontanéité est essentiel pour la flânerie et le narrateur souligne le hasard dans ses recherches en disant, "j’ai découvert, par hasard, qu’elles avaient habité" (28) et "je lui avais volé, bien involontairement, son titre" (100). Modiano ne nous présente pas seulement les mouvements physiques d’écrivain mais aussi métaphoriques. VanderWolk propose que Modiano crée un processus d’écriture qui laisse le lecteur dans un état d’incertitude, ce qui nous permet de lire nous-mêmes. En laissant le lecteur dans cet état d’incertitude comme l’acte de flâner, VanderWolk juge que Modiano incite le lecteur à développer un mouvement flâneur en soi. "The result of this mélange is a world of autobiographical fiction that is remarkable in its postmodern fixation on the role of memory, not as a unifying force, but rather as an obsessional temptation to reconstruct, to relive, to re-create"(VanderWolk 3). Ce qui veut dire que le lecteur devient un détective de la même manière que le narrateur.
LA REPRÉSENTATION DES RUINES
Dans "Le Cygne", Baudelaire décrit Paris comme une ville en ruine.Il semble que le passé est enterré dans un "tombeau vide" (Baudelaire 132). Enjuto-Rangel analyse ce poème pour questionner la politique du deuil et l’importance de la représentation des ruines comme une construction de la mémoire historique. Essentiellement, en montrant la ruine de la ville, Baudelaire espère garder la ville en vie. En effet, les mémoires de la ville sont plus fortes que l’expérience du nouveau Paris. L’orateur nous dit, "mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs" (131). Les ruines sont des allégories d’exil : "Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie" (131). Enjuto-Rangel explore cette idée, "The new palaces of Haussmann's Paris do not erase the "vieux faubourgs" because the metaphor of memories as stones provides the speaker with the materials to "rebuild" the past of his city... The ruins are the building blocks for the construction of a historical past, the allegorical ground from which the modern city emerges” (144). Les ruines deviennent les symboles du processus historique de la ville (Enjuto-Rangel 140). Enjuto-Rangel explique que les ruines dans "Le Cygne" “foresees modernity's own destructive nature by integrating the modern and the antique in a world where Andromaque, the swan, and the speaker coexist as symbols of pain and displacement within blocks of the new Carrousel and the Louvre" (Enjuto-Rangel 143). En outre, le fait que ce poème est dédié à Victor Hugo montre que c’est un texte déguisé comme une solidarité avec une personne exilée au sein d'un régime oppressif (Enjuto-Rangel 161). Fondamentalement, la représentation poétique des ruines, comme un lien avec le passé et la mélancolie, encourage le processus de reconstruction d’une mémoire historique. En utilisant un langage fort et perçant, reflétant des sentiments d’aliénation, d’exil et d’aspiration, Baudelaire secoue le lecteur pour le forcer à résister à une amnésie collective (Enjuto-Rangel 145).
La représentation des ruines dans "Dora Bruder" est illustrée de manière différente à celle de Baudelaire. VanderWolk dit, "In comparing past and present, Modiano, like Baudelaire, emphasizes the recuperative power of memory in cooperation with the inspirational capacity of the city, as each writer seeks to create his own aesthetic" (23). Pour Baudelaire les ruines sont réelles et reflètent la réalité moderne de la ville. Baudelaire essaie de montrer la dure réalité de Paris et il veut que ses lecteurs voient Paris dans une lumière claire, en exposant des prostitués, des clochards et des vieux pour montrer que la beauté peut venir d’aspects négatifs. Les ‘fleurs maladives’ symbolisent l’idée qu’on doit accepter la beauté de la ville de Paris moderne (Kawakami 266). Par contre, Modiano nous force de faire face à notre histoire, en transformant la ville en ruine, pour qu’on soit responsable du passé et pour assumer sa connaissance et sa culpabilité (Kawakami 269). Il semble que Modiano est toujours hanté par la question comment peut-il préserver les mémoires de L’Occupation et de Dora Bruder avec son écriture. Kawakami suggère que Modiano crée ses narratives du passé pour représenter la ville comme une ruine. Modiano pousse la mémoire de l’Occupation dans l’inconscience du lecteur, pour que Paris devienne une ruine en soi. "In the eyes of the postmodern flâneur and the informed reader, the beautiful city of Paris is thus transformed into a city of ghosts" (Kawakami 267). La ruine pour Modiano ne doit pas être quelque chose de physique mais plutôt quelque chose qui hante l’air de Paris. "L'extrême précision de quelques détails me hantait" (53).Pour Modiano ce ne sont pas les bâtiments en ruine de l’Occupation qui sont la ruine. A vrai dire, le lieu en soi n’apporte aucune signifiance, c’est seulement l’aura de ruine qui apporte l’aura du passé (Kawakami 268). C’est l’entré de quelqu’un qui peut projeter ses mémoires (personnelles ou apprises dans des livres d’histoire) sur un lieu. Modiano écrit que, "les lieux gardent une légère empreinte des personnes qui les ont habités" (28). Mais c’est son interprétation des lieux qui les transforment en ruine.
CONCLUSION
En analysant ces deux textes, “Le Cygne” et “Dora Bruder", on peut discerner comment la ville de Paris est en même temps construite et déconstruite par le regard nostalgique du flâneur. L’étude sur la flânerie à travers l’espace temporel et l’espace spatial avec les trois points de liens (l’esprit nostalgique, les mouvements du flâneur et les ruines) dévoile certaines similitudes et différences entre le flâneur moderne de Baudelaire et le flâneur postmoderne de Modiano. Les deux utilisent la force de la mémoire de la ville pour la décrire. Bien que Baudelaire reflète la nostalgie d’une ville qui a été transformé et Modiano reflète la perte et l’absence dans la ville d’après-guerre, les deux sont guidés par les mêmes idées qui sont figées dans la mélancolie. Cette mélancolie les pousse à s'attacher à la mémoire du passé.
C’est evident que les contextes historiques encadrent les deux représentations du flâneur. Baudelaire remue le lecteur pour l'inciter à participer dans la ville moderne d’une nouvelle manière, tandis que le flâneur postmoderne souligne l’importance de réinterpréter la ville après des évènements tragiques pour qu’on puisse comprendre le présent. Il semble que pour le flâneur moderne la memoire soit collective, tandis que le désir du flâneur postmoderne de ressentir et de protéger la mémoire est, en même temps, collectif et individuel. Dans le cadre de la période d’après-guerre à Paris, Modiano exprime notre responsabilité collective et individuelle de ne pas oublier ou nier l’importance du souvenir. Modiano utilise ses œuvres pour chercher dans les mémoires des vérités historiques ou des personnes perdues.Le flâneur postmoderne donc apporte un regard multidimensionnel du passé, de la ville et du processus de l’écriture. Le flâneur postmoderne évolue du flâneur moderne en exigeant de nous d’être responsable de la recherche des vérités du passé à travers les mémoires de la ville.
BIBLIOGRAPHIE
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(Le Cygne)
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